Culture

Laissez-vous émouvoir par la douleur d’une mère dans Madre de Rodrigo Sorogoyen

Affiche de Madre de Rodrigo Sorogoye
Madre de Rodrigo Sorogoye. Le Pacte

La vie d’Elena a basculé dix ans plutôt avec la disparition de son fils de 6 ans sur les plages des Landes. Dix ans se sont passées depuis qu’Elena a reçu l’appel de son fils seul et perdu sur une plage déserte, paniqué il ne retrouvait pas son père.

Aujourd’hui, Elena vit et travaille dans un restaurant en bord de mer. Cette mère brisée va rencontrer un adolescent qui lui rappelle son fils.

Émouvant. Déstabilisant. Ambiguë. Voici les termes qui caractérisent le mieux Madre de Rodrigo Sorogoye distribué par Le Pacte. Ce film est un véritable chef d’œuvre qui joue sur des effets de surimpressions, les mouvements de caméra et l’emploi à la fois de l’espagnol et du français.

Madre de Rodrigo Sorogoye s’ouvre sur le plan d’une plage désertique. Cette image reviendra plusieurs fois durant le film. On a l’impression qu’elle hante Elena, l’obsède en la renvoyant à lieu où son fils a disparu.

Le film se poursuit par une scène d’intérieur où nous découvrons Elena et sa mère. Toutes deux sont dans l’appartement d’Elena. Ce dernier est spacieux, des plus lumineux, les couleurs claires prédominent. On peut voir au mur un grand nombre de dessins d’enfant.

Cet appartement est en totale opposition avec celui qu’elle aura plus tard en France. Il est plus petit, limite surchargé, souvent plongé dans la pénombre. Semblant en accord avec l’état d’esprit d’Elena qui est rongée par la douleur, tourmentée.

Le ton de cette première scène de Madre de de Rodrigo Sorogoye est détendu, limite joviale. Tout va basculer en un instant avec comme déclencheur un appel d’Ivan, le fils d’Elena. On assiste à une succession de plans sur le visage d’Elena, celui de sa mère, voire des plans larges mettant en scène les deux femmes, parfois la caméra se centre plus sur Elena. Cette façon de filmer nous amène à ressentir de l’empathie pour cette femme et sa mère qui vont plonger dans l’horreur.

Le fils d’Elena âgé de 6 ans l’appel angoissé. Il est à la plage tout seul son père est partie chercher un jouet qu’Ivan a oublié au camping. Selon Ivan, il est seul depuis un moment. Les deux femmes impuissantes sont mortes d’inquiétude. On peut souligner le jeu des actrices qui incarnent à la perfection leurs personnages, tout comme les autres acteurs du film.

Elena prend sur elle et tente de calmer son fils tout en essayant de lui faire dire où il se trouve ou à défaut de décrire ce qui l’entoure. La plage est déserte la tension est à son comble, car le portable n’a quasiment plus de batterie.

L’inquiétude, la tension s’intensifient quand la communication se coupe. Folle de peur et de douleur Elena est prête à partir à l’aventure pour le retrouver contre l’avis de sa mère. Le téléphone sonne à nouveau Ivan rappel en larme.

Finalement Ivan leur dit qu’il voit un homme, mais le soulagement est de courte durée. On comprend quand l’enfant le décrit qu’il s’agit d’un prédateur plus exactement d’un pédophile. L’homme veut qu’il se rapproche de lui.

Marta Nieto dans Madre de Rodrigo Sorogoye
Madre de Rodrigo Sorogoye. Le Pacte

Le talent de Rodrigo Sorogoye dans Madre est de nous restituer l’horreur de la scène uniquement du point de vue des deux femmes. Cela suscite l’empathie, car nous devinons ce qui se passe sans qu’on voit l’enfant et sans qu’on sache réellement ce qui se passe.

Madre distribué par Le Pacte instaure dès le début une tension des plus haletante. Nous sommes comme elles des témoins impuissants face à l’horreur qui se déroule au bout du fil. Les deux femmes hystériques, paniquées lui ordonnent de courir et de se cacher loin de cet homme. Suis un gros plan d’Elena stressée et au bord de la crise de nerf quand la communication s’interrompt abruptement après que l’homme ai retrouvé le petit.

La caméra s’éloigne, se fait moins intime et nous montre en plan large la réaction d’Elena et de sa mère. Folle de douleur et de rage, Elena quitte en trompe l’appartement. La caméra emprunte derrière elle le même chemin, une fois dans le hall dans un raccord la caméra suit le même mouvement (travelling) et pénètre dans l’appartement où la mère d’Elena atterrée fixe face caméra le couloir vide.

Cet événement dramatique est au cœur de ce thriller des plus intense distribué par Le Pacte. On assiste à nouveau dans Madre à une superposition : à l’image de l’appartement vide se superpose celle d’une plage, cette fois il y a du monde. Nous apprenons que dix longues années se sont écoulées depuis la disparition d’Ivan, Elena reste hantée par le souvenir de ce drame et de son enfant.

La caméra suit une femme, puis se rapproche d’elle. Nous découvrons qu’il s’agit d’Elena. Elle ne peut s’empêcher de dévorer des yeux des groupes de jeunes dont l’âge approche celui que son fils aurait dû avoir. Nous apprenons que cela fait dix ans qu’Elena vit et travaille à la plage peut être dans l’espoir désespéré de retrouver son fils disparu.

Comment souvent dans Madre de Rodrigo Sorogoye, nous voyons un plan sur une plage déserte qui alterne avec un plan sur Elena. Ce film distribué par Le Pacte nous la présente comme souffrant d’une fêlure. Elle est hantée, obsédée par cette image qui illustre à merveille la disparition de son fils. En même temps comment pourrait-il en être autrement sans corps, Elena ne peut faire son deuil.

Nous découvrons durant ce film qu’Elena ne dispose pas d’une bonne réputation et est souvent associée au mot folle. Ainsi durant une scène des plus émouvante dans un restaurant où Elena dîne avec son copain Joseba. On entend une voix de femme « c’est la femme folle, celle qui a perdu son fils ». Elena est bouleversée par ses propos.

Un peu plus tard dans Madre, nous la voyons arpenter la plage et observer avec insistance un groupe d’adolescent, puis son attention se focalise sur l’un d’entre eux en particulier. Son attitude semble à la limite de la frénésie, de la folie, de l’obsession. Elena le suit. On peut remarquer comme souvent dans Madre de Rodrigo Sorogoye que les mouvements de caméra, la façon de filmer des plus remarquables illustrent à merveille les émotions, l’action de ce film.

On peut ainsi voire une succession de plans sur l’adolescent en caméra subjective ou non. Elena finit par l’espionner au loin. Son attitude étrange semble révéler une certaine psychose, blessure qui ne s’est jamais guérie. On est tenté de se demander jusqu’à où son obsession la poussera.

S’ensuit la routine d’Elena : journée de travail, puis retour à son appart où Elena s’allonge direct sur son lit. On retrouve à nouveau l’image de la plage vide qui la hante sans trêve. Le jour suivant nous retrouvons Elena à son comptoir. L’adolescent qu’elle observait commande. Une caméra subjective illustre le regard d’Elena qui s’attarde sur le visage de l’adolescent dans un plan assez ambigu. On est tenté d’y voir le regard d’une mère voire peut être interprété autrement entre tendresse maternelle ou sensuelle.

Toute la première partie du film est en espagnol, langue natale d’Elena. Quand Jean, l’adolescent qu’elle suivait engage la conversation c’est en français. Une fois qu’il lui a demandé si elle est Espagnole, il lui parle parfois dans sa langue natale.

Elena semble dans un premier temps mal à l’aise. Nous avons la sensation que Jean tente gentiment de la draguer. Il lui dit entre autres qu’il connaît son nom, Jean l’a entendu un peu plutôt. Jean l’invite à assister à son match de foot de plage, afin de détendre l’atmosphère il lui dit qu’ elle assistera à son humiliation.

Jean se fait plus direct, plus pressent, lui parle en espagnol quand il lui demande son numéro et son adresse. Il se justifie en lui disant « vous venez de me le dire, vous savez où je vis », « je vous ai vue me suivre ». Jean s’excuse de la mettre mal à l’aise, Elena gênée ne sait pas quoi dire. Jean la rassure en lui dit que ce n’est pas grave et qu’au contraire ça lui a fait plaisir. L’adolescent semble mal interpréter les attentions d’Elena le concernant. Jean se sent flatter et décide de faire le premier pas.

Le personnage d’Elena dans Madre, nous apparaît dans toute sa complexité, son ambiguïté, car son attitude peut prêter à confusion surtout chez un ado qui ne peut qu’être flatté de l’intérêt d’une femme pour lui. Elena va jusqu’à quitter un repas dans la famille de son copain pour se rendre au match de Jean. Nous assistons de nouveau à une succession de plans sur Elena et Jean avec différents angles de vue donnant presque un côté déstabilisant aux images. Nous faisant partager le point de vue d’Elena.

Madre de Rodrigo Sorogoye se poursuit par une scène des plus gênantes. Un silence gêné s’instaure quand le père de Jean les rejoint et demande à Elena « lequel est votre enfant ? ». Cette dernière ne répond aucun, quand après il lui demande si elle aime le foot de plage, Elena répond de nouveau par une réponse fermée « pas vraiment ».

On peut ressentir que la présence du père de Jean les gêne. Sans perdre de son aplomb, il invite Elena à se joindre à leur pique-nique familial. L’ado appartient à une famille heureuse, sa mère pause la même question que son mari qui lui répond qu’Elena n’a pas d’enfant tout en précisant qu’elle est une amie de Jean.

L’ex de ce dernier observe le couple improbable que forment Jean et Elena. Ceux-ci nous apparaissent au premier plan à l’écart du groupe. Quand Elena part, l’ado la rattrape et lui glisse dans la main dans une sorte de caresse son numéro. La relation, les gestes, les regards d’Elena et de Jean se font de plus en plus ambiguës voire dérangeants. Durant une scène il lui attrape le bras, leurs regards se croisent un instant dans une sorte de ralenti.

Tout au long de Madre, Jean semble se rapprocher de plus en plus d’Elena. Tous deux nous donne l’impression de dépendre l’un de l’autre. Sous le regard amusé de certains qui ont repéré son manège, à force de venir au restaurant pour la chercher ou pour commander, certains collègues d’Elena lui demande « tu n’as pas de lieu ou aller voire ou vivre ».

Obsessionnelle, compulsive voire étrange, Elena est un personnage des plus attachants qui reste tout au long de Madre assez énigmatique. Elle nous apparaît comme une femme au bord de la crise de nerf, hantée par sa perte. Nous sommes étonnés par la tournure que prend cette relation. Dans un premier temps, bien qu’Elena le vouvoie et semble instaurer une légère distance et qu’elle voit la tournure que prend les événements à savoir l’attachement, l’amour démesuré que lui vaut Jean, elle ne le décourage pas.

Cela est illustré quand Jean l’accompagne une partie du chemin la menant chez elle sous fond de soleil couchant dans un lieu des plus romantique. Nous assistons à un échange de regards associé à un ralenti, il lui pause milles-et-une question. Elena sourit détendue ce qu’elle fait rarement dans Madre.

Marta Nieto et Jules Porier dans Madre de Rodrigo Sorogoye
Madre de Rodrigo Sorogoye. Le Pacte

Elena ira même jusqu’à l’inviter chez elle. Ils finissent par s’endormir devant la télé sur son canapé tout deux côte à côte. Quand Elena se réveille, elle le dévore des yeux avec tendresse voire désir. Un doute persiste chez nous dû au morcellement du corps qui apparaît à l’écran dans plusieurs plans, voire vues en caméra subjectif. Son regard envers lui instaure chez nous un trouble, car on en vient à douter de sa nature. Joseba arrive et tous sont mal à l’aise comme s’ils étaient pris en cause.

L’attitude d’Elena dans Madre nous apparaît borderline. Elena nous donne l’impression de ne pas savoir elle-même ce qu’elle veut, Elena a parfois une attitude aguicheuse, assez déplacée. Elle finit par rejoindre Jean et ses amis toujours au détriment de Joseba. Ils jouent à un jeu genre action vérité, mais sans le côté action « tu préfères coucher une fois ou plusieurs fois ? ». Jean gêné « je ne peux pas compter » donnant plutôt l’impression d’être encore vierge et de chercher l’aventure. Quand vient le tour de Elena cette dernière répond « plusieurs pour atteindre l’orgasme ». Elle propose d’apporter de l’alcool provenant de son travail.

L’ex de Jean lui emboîte le pas et lui demande son âge « 39ans », quand Elena lui dit « tu es l’ex de Jean », la jeune fille lui répond « et toi la folle de la plage ». L’ex de Jean semble, tout au moins dans un premier temps, être la seule à voir d’un mauvais œil la relation naissance entre Elena et l’adolescent. Jean les interrompt. Son ex tente de le séduire en dansant devant lui, sans grand résultat. Il ne lui accorde même pas un regard, Jean ne détache pas ses yeux d’Elena. Nous assistons à un échange de regard qui déclenche un trouble chez nous tout comme l’ex de Jean qui part sans demander son reste.

La conduite d’Elena se fait de plus en plus décousue, irréfléchie. Elle prend de plus en plus de risque et semble perdre pied. Elena nous donne l’impression d’être instable, perdue, ses réactions sont démesurées.

Elena et Jean nous apparaissent tout au long de leur évolution dans Madre comme étant trop dépendant l’un de l’autre, obsédés. Ils s’engagent dans une relation autodestructrice, borderline qui finit par ne laisser personne indifférent. Bien que dérangeante, cette relation ambigüe donne l’impression tout au moins dans un premier temps d’être tolérée ou tout au moins au début personne ne s’y oppose franchement. Peu à peu leur relation évolue de façon étrange, on finit par douter de sa nature. Malgré plusieurs mises en garde, Elena semble s’enliser dans cette obsession, relation dont il nous tarde de connaître l’évolution.

Madre de Rodrigo Sorogoye est un film des plus poignant qui s’intéresse à la figure de la mère comme le laisse présager son titre. Nous faisons connaissance avec trois d’entre elles. Dont le personnage principal Elena, mère folle de douleur, âme perdue qui reste attachée à un souvenir. On se demande si elle ne cherche pas tout au moins au début une seconde chance, une rédemption dans son lien avec Jean. Mais Madre va au-delà, nous pouvons voir au début du film, la mère d’Elena. Elle nous apparaît protectrice, assez proche de sa fille. Bien qu’angoissée, la mère d’Elena tente de la calmer et de la mettre en garde contre toute action irréfléchie sans y parvenir. Elle compati à la douleur d’Elena.

Une autre figure de mère nous est aussi présentée dans Madre : il s’agit de la mère de Jean. Protectrice, douce, maternelle et diplomate, elle tente de mettre en garde Elena sur la situation tout en faisant appel à son instinct maternel, son bon sens, tout en blessant inconsciemment Elena « je vous ai vue avec mon fils et je me suis dit, elle sait y faire avec mon fils. Où sont les vôtres ? ». La mère de Jean insiste pour savoir si Elena a des enfants afin de faire appel à son instinct maternel, à ses mots Elena se décompose. La mère de Jean tente ensuite de s’adresser à son bon sens « j’aime les gens responsable », cela sans résultat.

Dans Madre propose par Le Pacte nous sommes confrontés à trois figures de femmes en détresses, inquiètes. Ce film au-delà d’un thriller des plus palpitant est un drame des plus émouvant qui ne saura vous laisser de glace. On peut noter une certaine poésie dans l’image et la façon de filmer, cela facilite parfois l’identification.

Partagez la douce folie et l’obsession d’une mère qui tente de survivre après la disparition de son fils dans Madre de Rodrigo Sorogoye

Madre de Rodrigo Sorogo. Distribution : Le Pacte. Avec Marta Nieto, Anne Gosigny, Alex Biendemotit,…

Durée : 2h09

Sortie en salle le 22 juillet 2020

Rédactrice freelance, Pigiste

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