Culture

Pénétrez dans l’univers impitoyable des courtisanes avec Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien

Affiche: Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien. Carlotta Films © Shochiku Co., Ltd. Tous droits réservés.
Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien. Carlotta Films © Shochiku Co., Ltd. Tous droits réservés.

Dans le Shanghai du XIXe siècle, Mr Wang un haut fonctionnaire partage sa vie entre l’opium et les courtisanes. Il en fréquente deux Rubis et Jasmin entraînant tensions et rivalités.

Captivant. Poignant. Voici les termes qui caractérisent le mieux le film Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsia-Hsien. Grâce à Carlotta Films, vous aurez la possibilité de redécouvrir ou de découvrir ce film en salles dès le 22 juillet en version restauré 4K. Le réalisateur nous offre dans cette œuvre de merveilleux portraits de femmes ou plus exactement de courtisanes.

Le film s’ouvre sur un texte situant l’action et nous expliquant qu’à la fin du 19e siècle « les élégantes maisons de prostitution se trouvent dans la concession britannique. On les appelait Les Maisons de Fleurs ». Les courtisanes s’y trouvant étaient surnommées Fleurs de Shanghai c’est à celles-ci que fait référence le film de Hou Hsia-Hsien. Tout comme le nom du roman de Han Ziyin dont le réalisateur s’est inspiré.

Les Fleurs de Shanghai commencent sur une scène des plus joyeuses, festives. On y voit des hommes rassemblés autour d’une table. Les femmes sont en retrait, elles servent à boire et se tiennent derrière les hommes. L’assemblée plaisante, car les jeunes filles se battent pour boire à la place d’un des leurs : un jeune homme. On peut ainsi observer que quand il perd, la jeune fille à ses côtés passe son verre à une de ses consœurs. De par leurs attitudes, leurs manières et leurs tenues des plus somptueuses et bien sûr en regard du titre nous en déduisons que ce sont des courtisanes.

Les plaisanteries redoublent quand le chef fait observer que Yufu (le jeune homme) doit arrêter et se retirer car les filles lui ont dit «de s’arrêter, car Crytal l’attend ». Crystal et Yufu sont présentés comme un couple fusionnel. Les hommes se moquent gentiment de lui « c’est ça l’amour » quand ils s’interrogent sur ce que le couple fait ensemble. L’un d’eux témoigne qu’il a vu Yufu et Crystal les yeux dans les yeux, tout en les imitant de façon théâtrale et poursuivant sur la même idée provoquant l’hilarité générale.

Durant ce moment d’euphorie, un homme se distingue du groupe. Il nous semble préoccupé, distant, il ne rit pas. Puis finit par quitter la salle à la suite d’une jeune fille. L’homme est parti rejoindre Jasmin.

Le titre de ce film de Hou Hsia-Hsien apparaît seulement à ce moment après que l’écran se soit obscurci. Les Fleurs de Shanghai nous font pénétrer au cœur de ses Maisons de Fleurs, nous y rencontrerons plusieurs courtisanes présentées à travers plusieurs portraits des femmes des plus différentes. Nous serons confrontés dans ce film et cela sans filtre aux dures conditions des courtisanes. Nous serons amenés à voir au-delà des apparences des plus trompeuses.

Dans un premier temps, Les Fleurs de Shanghai nous entraînent au cœur de l’établissement où se trouve Rubis ou plus précisément ses quartiers. Nous retrouvons l’homme taciturne du début. Une femme vêtue de noir entre et le prend à partie « Mr Wang c’est de votre faute. Si vous aviez été sincère, vous auriez très bien pu aller voir d’autres filles. Vous n’avez pas été correct. Rubis a pleuré. », elle pense que « Jasmin lui a volé Mr Wang ». La femme qui parle semble être la macrelle ou l’intendante de la courtisane. On peut apercevoir dans la pièce, une belle femme vêtue de rouge sombre que nous supposons être Rubis. La même femme qui nous donne l’impression pour le moment d’être le porte-parole de la courtisane ajoute que ce sont les raisons pour lesquelles Rubis est en colère.

Suit un plan sur Mr Wang qui est venu accompagné. Loin de la romance autour de la relation de Yufu et Crystal, on a plus l’impression ici qu’il s’agit purement de commerce, de marchandage. On pourrait être au départ tenté de penser à une jalousie ou une rivalité entre deux courtisanes, puis nous sommes rapidement ramenés à la réalité.

Durant cette scène de pourparlers voire visant à l’émouvoir Mr Wang, ce dernier semble détaché, impassible. Il regarde ses chaussures, distrait. On assiste à un entretien où la femme tente de le manipuler pour lui soutirer de l’argent « vous êtes son protecteur. Elle n’a plus de clients. Vous avez promis de l’aider à payer ses dettes ».

Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien. Carlotta Films
Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien. Carlotta Films

Mr Wang et Rubis sont chacun dans leurs coins, ils ne semblent même pas se jeter de regard, tandis que leurs représentants sont en pourparlers pour trouver un accord. Rubis convient qu’il peut voir Jasmine si il le désire et fait remarquer presque négligemment que cela fait presque 5 ans qu’elle est avec lui et qu’elle n’a que ce qu’il a devant les yeux tandis que Jasmine à plus.

Son attitude et ses propos semblent dénués de sentiment et être purement calculateur. Mr Hang soutenir Mr Wang et finit par déclarer « une courtisane est payée pour ses services. Les clients ne sont pas tenus de payer leurs dettes. Vous en demandez trop ». Il souligne qu’une courtisane ne devrait pas compter que sur un client, les hommes ont plusieurs courtisanes. L’intendante s’insurge « mais Mr Wang a fait une promesse ».

On peut observer une distance entre Rubis et Mr Wang chacun est assis à un bout de la pièce. Tout deux semblent attendre le verdict. La femme essaye de les amadouer « notre maîtresse a pleuré toute la nuit ». Mr Wang finit par chuchoter à l’oreille de Mr Hang pour leur donner congé. Un certain mal-être, malaise parait s’être instauré entre eux. Rubis tente une approche devant le peu de résultat de la méthode précédente. Elle lui demande faussement innocente « vous aviez peur de venir seul, vous êtes venu avec deux amis désolé pour le dérangement ». Elle semble vouloir rentrer dans ses bonnes grâces. Rubis lance acide à propos de Jasmin « elle a dû vous coûter cher » c’est le seul moment où Mr Wang réagit « arrête de dire des sottises ». Pour calmer les esprits elle l’invite à fumer de l’opium.

Dans Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien, vous serez amené à pénétrer au sein de différentes maisons des fleurs. Chacune d’entre elle vous permettra de voir des scènes de vie mettant en scène à chaque fois une fleur de Shanghai différente, nous projetant dans sa vie de tous les jours et nous confrontant à leurs problèmes. Les changements de décor sont introduits par des fondus au noir.

Rubis nous donne l’impression d’être une femme assez manipulatrice, calculatrice, limite jouant la comédie. Mr Wang prend la femme à partie, « si je paie ou non elle reste cruelle ». Rubis est toujours présente, mais reste dos tourné. Mr Wang se rapproche d’elle pour la calmer « ne soit pas fâchée ». Rubis tente toujours de l’amadouer, de l’attendrir.

Fleurs de Shanghai nous amènent ensuite à faire la connaissance avec une autre courtisane : Perle. Elle est plus mature, fume de l’opium comme la majorité des personnes dans ce film. Perle est la favorite de Mr Hang et semble observer les nouvelles arrivantes avec une certaine compassion. Nous découvrons qu’il y a de la rivalité entre les différentes courtisanes, ainsi nous apprenons qu’une des filles Trésor a été battue, car elle était jalouse de Jade qui est populaire et a parlé sans réfléchir.

Le portrait consacré à Perle dans Les fleurs de Shanghai la présente comme une figure limite protectrice, proche d’une grande sœur qui partage ses conseils avec les novices. Elle semble plus posée « nous sommes des courtisanes dans 2-3 ans nous seront mariés même pour la plus célèbre des courtisanes cela ne dure qu’un temps ». Perle parait plus réaliste au regard de leur condition.

Le film nous amène ensuite à découvrir Émeraude. Cette dernière prête de l’argent à sa patronne, car ses amants lui prennent tout son argent. Elle se confit comme cela sera souvent le cas à son client Mr Hua, Émeraude est atterrée, car à son âge sa patronne continue.

Nous assistons à ses préparatifs avant son rendez-vous, elle est aidée par de jeunes femmes sûrement d’apprentis courtisanes. Magnifiquement parée, Émeraude brille de mille feux. Quand une jeune fille se plaint à elle d’avoir été battue. Émeraude nous est montrée sûre d’elle, observatrice parfois cruelle voire réaliste. Émeraude lui répond « si tu as peur de la douleur, il fallait épouser un officiel et non pas devenir courtisane », elle fait remarquer à la fille qu’elle ne sert à rien si elle n’apporte pas d’argent à sa patronne.

Nous sommes ensuite enfin amenés à faire la connaissance de Jasmin : la rivale de Rubis. Elle nous est présentée durant cette scène calme, effacé. Mr Wang est durant une partie de cette séquence, allongé sur le sol en train de fumer de l’opium. Jasmin lui prépare sa pipe à opium et refuse d’en prendre car « on en devient dépendant », et renchérie par « c’est mauvais pour le travail ».

Mr Wang lui fait observer que Rubis fume et n’est pas dépendante. Elle lui répond que Rubis a beaucoup de clients et qu’elle peut donc se le permettre. Il prend la défense de Rubis et semble plus bienveillant qu’on aurait pu le croire en regard du début du film.

Mr Wang fait observer que Rubis s’occupe de sa famille ce qui explique qu’elle est besoin d’argent. Jasmin calme de premier abord semble assez bien coller à l’expression « il faut se méfier de l’eau qui dort », car elle distille peu à peu le doute dans l’esprit de Mr Wang. Elle ajoute que s’ils vivaient tous ensemble, ils devraient avoir besoin de peu de choses et s’interroge sur ce que Rubis fait de son argent.

Mr Wang raconte son histoire avec Rubis d’une façon émouvante. Il se confie « elle aurait pu arrêter d’être courtisane, je l’aurais épousé. Elle disait oui pour me faire plaisir ». Rubis nous apparaît même dans cette scène intéressée, purement calculatrice « elle m’a dit que si je remboursais ses dettes elle m’épouserait ».

Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien. Carlotta Films

Au plan suivant, on retrouve Rubis assisse à une table Mr Wang la rejoint. Elle semble faussement distante. Il s’adresse à la même femme mi gouvernante mi macrelle « j’ai payé (…). On dirait qu’elle ne veut pas m’épouser. Je ne sais pas ce qu’elle pense ». On a l’impression que c’est le seul moment où Mr Wang semble prendre conscience de la réalité des faits. Tous deux finissent à la même table, silencieux, le regard perdu dans le vide. Ils se jettent des petits coups d’œil furtifs leurs attitudes semblent mesurées. Tout semble calculé, ils paraissent limite mal à l’aise.

Nous avons l’impression que Rubis joue la comédie ses manières sont des plus théâtrale et ont pour but d’amadouer Mr Wang afin de retrouver sa place « c’est un fardeau de venir ici, les servantes ne préparent pas votre pipe ». Elle semble se rabaisser pour l’amener à la contredire, la mettre en avant et cherche toujours à le faire culpabiliser.

Après nous avoir introduit ces 4 femmes dans leurs milieux respectifs, Les Fleurs de Shanghai distribué par Carlotta Films mélange les portraits et nous fait partager leurs malheurs comme leurs joies. Ces femmes nous sont révélées sans filtres, dans toutes leurs complexités. Perle sert de conseillère auprès des nouvelles courtisanes, mais contrairement à ce qu’on l’on pourrait croire elle n’est pas si maternelle que ça.

De retour dans les appartements d’Émeraude, nous découvrons qu’elle veut acheter sa liberté. Sa macrelle marchande avec Mr Hue tout semble être une question d’argent et de marchandage. Nous découvrons si l’on peut dire l’apprentissage des courtisanes dans un récit où elle joue sur le pathos La macrelle se donne le bon rôle et se décrit comme une seconde mère qui « acheté les filles de 7 à 8 ans, je les élève jusqu’à ce qu’elles aient l’âge de travailler. Je les nourris, je les habille, je leur apprends tout ». Elle cherche surtout à faire prévaloir son investissement et veut être remboursée à la même hauteur.

Ainsi cette femme explique qu’elle s’investit avec ses filles autant physiquement que financièrement ce qui explique qu’elles prennent de la valeur. Comme le fait si bien remarquer Émeraude la concernant « aucune patronne n’a bon cœur, aucune bonne personne ferait ce métier ».

Ce film nous plonge dans une intrigue des plus envoûtantes au cœur des Maisons de Fleurs dans le Shanghai du XIXe siècle. Vous êtes invité à pénétrer au cœur des appartements et salons de courtisanes chacune y instaurant ses propres goûts. On suit avec passion l’évolution de ses différents portraits de femmes, ainsi que celle de Mr Wang pris au piège entre deux courtisanes.

Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien nous exposent la grandeur et la décadence des courtisanes comme le fait remarquer l’une d’elle, même les plus populaires ne sont pas à l’abri. L’intrigue des Fleurs de Shanghai est émaillée de partie de Ma-jong et de pipe à l’eau. La majorité des personnages sont sous l’influence de l’opium qui semble y être une source d’évasion, d’oubli.

Ce film est un drame qui nous confronte à la condition peu enviable de ses femmes pour certaines battues, trompées, infidèles, mortes de chagrin, folles de douleur à qui certains ont promis monts et merveilles. Comme le fait observer une des courtisanes « il ne faut pas croire ce que disent les clients ce sont des mensonges ». Vous ne pourrez rester insensible à ce film des plus émouvant d’Hou Hsiao-Hsien. On peut noter entre autres la prestation du talentueux Tony Chiu-Wai Leung dans le rôle de Mr Wang.

Laissez-vous séduire par les attraits des Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien, sans pour autant oublier qu’elles possèdent des épices.

Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien. Carlotta Films. Durée : 1h53.

En salle le 22 juillet

Pour plus d’info : https://carlottafilms.com/cinema/

Rédactrice freelance, Pigiste

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